Sur la toile, la disparition de la jeune femme a dĂ©clenchĂ© un torrent de jugements sans recul d’oĂč la mise en garde d’un expĂ©rimentĂ© journaliste.« Comme rĂ©flĂ©chir est difficile, on juge », Carl Jung. Dieu soit louĂ©. Heureusement, Diary Sow nous est revenue sans aucun dommage sur son corps.
Nul ne sait encore ce qui se passe ou se passera dans la tĂȘte de cette frĂȘle et jeune fille. Les blessures internes exacerbĂ©es par notre jugement peuvent s’avĂ©rer pourtant plus dĂ©vastatrices pour cette fille. Gardons tous Ă l’esprit que celle-ci a Ă©tĂ© fragilisĂ©e par le dĂ©cĂšs trop prĂ©maturĂ© d’un pĂšre dont la prĂ©sence Ă ses cĂŽtĂ©s et dans la famille Ă©tait plus qu’indispensable.
Un parent pour qui elle nourrissait certainement comme tout(e) autre fils/fille, les plus folles ambitions. Aussi, les uns et les autres, devons-nous garder d’ouvrir un procĂšs contre elle, avec des procureurs fĂ©roces, tentant de convaincre des juges peu indulgents Ă la conduire devant l’Ă©chafaud.
Rappelons les propos du journaliste Madiambal Diagne dans son excellent texte qu’il a intitulĂ© : « Reviens Diary, tu as ta place parmi nous », au moment oĂč tout un pays Ă©tait encore terriblement angoissĂ© par la disparition de la jeune fille.
Je le cite : « Vraisemblablement, Diary Sow n’a pas fui pour une raison qui entacherait sa rĂ©putation de bonne fille ou pour se sauver d’un mariage forcĂ©. Il est possible qu’elle ait tout simplement flippĂ© comme cela arrive Ă beaucoup de jeunes de son Ăąge, en proie Ă des doutes, des incertitudes, des angoisses, Ă la peur d’Ă©chouer, Ă la phobie de dĂ©cevoir son monde.
On a beaucoup trop demandĂ© Ă cette pauvre fille. ElĂšve « brillantissime », meilleure Ă©lĂšve du SĂ©nĂ©gal deux annĂ©es de suite (2018-2019), et admise au baccalaurĂ©at avec la meilleure mention. Elle Ă©tait devenue (Ă son corps dĂ©fendant ?) la mascotte de son pays (âŠ) Sa vie devenait une success story ».
Trop lourd Ă porter, pour une enfant d’Ă peine de vingt ans. Aucun(e) adulte parmi nous, en Ăąge d’ĂȘtre le gĂ©niteur ou la gĂ©nitrice de cette fille, n’aurait jugĂ© aussi sĂ©vĂšrement Diary Sow, comme certains ont pu le faire et l’auraient surtout pas fait si leur propre enfant avait Ă©tĂ© placĂ© par les mĂȘmes circonstances dans la mĂȘme posture que Diary Sow.
Je me demande pourquoi autant de manque d’indulgence et de compassion de la part de ces censeurs, les mĂȘmes qui, souvent, se laissent aller Ă des jugements trop sentencieux, des condamnations aussi catĂ©goriques, d’oĂč suintent parfois des relents manifestes de malveillance.
Et toute cette malveillance semble ĂȘtre le reflet de mauvais sentiments, a priori entretenus par des personnes qui ne connaissent mĂȘme pas les gens qu’ils jugent. Et encore moins les faits sur lesquels elles se prononcent. Les sentences gĂ©nĂ©ralement vite prononcĂ©es ne sont nullement le rĂ©sultat d’une analyse factuelle rigoureuse menĂ©e sans Ă©motion et avec beaucoup distance, par rapport aux personnes incriminĂ©es.
Aujourd’hui, c’est la jeune Ă©tudiante qui est visĂ©e avec parfois une sĂ©vĂ©ritĂ© que l’on explique difficilement. Je ne pouvais me rĂ©soudre Ă l’idĂ©e d’une issue fatale. Diary est effectivement revenue, comme l’en suppliait la nation.
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Quel soulagement, quand ce mercredi 20 janvier 2021, le parrain de l’Ă©tudiante, le ministre Serigne Mbaye Thiam, a informĂ© le Conseil des ministres, avoir reçu une lettre de Diary Sow dans laquelle cette derniĂšre l’a rassurĂ©. Mon bonheur a Ă©tĂ© indicible, quand Serigne Mbaye Thiam me fit l’amitiĂ© de m’informer dans la nuit du samedi soir, 20 janvier 2021, qu’il venait de retrouver Diary Sow Ă Bruxelles (Belgique).
Serigne Mbaye Thiam sait Ă quel point je suis attachĂ© Ă cette jeune fille, et encore plus depuis que j’ai eu l’avantage de prĂ©sider la cĂ©rĂ©monie de dĂ©dicace de son premier roman.
CĂ©rĂ©monie au cours de laquelle elle semblait avertir, quand elle dit : « C’est trĂšs important pour moi de raconter les gens tels qu’ils sont, de ne pas se limiter Ă la surface. Je me dis qu’il n’y a pas d’ange, pas de dĂ©mon. Tout le monde a des zones d’ombre, tout le monde a un masque qu’il porte selon les circonstances ».
J’avoue que quand j’ai lu les Ă©crits publiĂ©s par Serigne Mbaye Thiam par la jeune fille et dans lequel le ministre livre quelques dĂ©tails, pour expliquer les raisons de sa disparition, j’ai cru avoir retrouvĂ© dans les mots l’auteure du livre « Sous le visage d’un ange », dans lequel Diary Sow a rĂ©ussi Ă narrer une trĂšs belle histoire, la vie tragique de son hĂ©roĂŻne Allyn.
Celle-ci ne reflĂšte pas, loin s’en faut, la vie de Diary, mais elle peut informer sur la sensibilitĂ© de son ĂȘtre en lisant la lettre assez tourmentĂ©e qu’elle a envoyĂ©e Ă son parrain. Elle dit quelque part qu’elle n’est pas partie pour fuir Ă cause de la pression, encore moins par un doute sur ses capacitĂ©s. Elle prĂ©cise Ă©galement qu’elle n’a pas disjonctĂ© et qu’elle n’a pas non plus disparu pour suivre avec une passion amoureuse, comme suggĂ©rĂ© par certains de ses compatriotes.
Sur ce dernier point, elle aurait, je pense, assumĂ© avec pudeur, certes, mais sans aucune honte, je crois, toute relation amoureuse. Tout indique Ă croire, si on en juge par son Ă©criture sensible et sensuelle ; quand elle narre dans son roman les frasques amoureuses d’Allyn son personnage principal. Personnage trĂšs Ă©nigmatique, ambitieuse, avec une soif inextinguible de libertĂ© Ă qui Diary Sow semble trĂšs attachĂ©e, voire entichĂ©e, n’est pas elle. Certes ! Seulement, cette hĂ©roĂŻne, Allyn, permet tout de mĂȘme de lire dans l’Ă©tat d’esprit.
Lire Ă travers Allyn l’Ă©tat d’esprit de Diary Sow, dis-je. Sans chercher des similitudes ou des ressemblances entre le personnage principal du roman Allyn et Diary Sow, on peut tout de mĂȘme noter que l’idĂ©e de partir, disparaĂźtre, a peut-ĂȘtre longtemps cheminĂ© en cette fille, avant mĂȘme son entrĂ©e au lycĂ©e prĂ©paratoire.
La disparition de Diary Sow et l’histoire racontĂ©e dans son roman sur Allyn qui a disparu deux fois dans le texte de l’auteure, suggĂšre une curieuse coĂŻncidence (fortuite ?)  Allyn laisse entendre : « Je veux fouler aux pieds tous les interdits, sortir des sentiers battus, refuser toutes ces rĂšgles convenues pour que rien ne bouge jamais. Je veux vivre sans contrainte aucune. AprĂšs n’avoir connu que le cĂŽtĂ© regrettable de la vie, l’heure est venue pour moi de jouir. (âŠ) Ă mon tour. Quels que soient les sacrifices que cela implique ».
Je ne crois pas que ce soit osĂ© de faire une telle lecture Ă partir du jeu qu’elle fait jouer Ă Allyn qui reste sur le dĂ©part Ă toutes les Ă©tapes de son existence dans le roman. Dans sa lettre Ă l’allure tourmentĂ©e, pensent certains, envoyĂ©e Ă son parrain, Diary Sow lui explique « ĂȘtre partie librement, et dĂ©crit sa disparition comme une sorte de rĂ©pit salutaire dans sa vie, une petite pause, pour retrouver ses esprits ». Â
Les mots de la jeune fille sonnent comme un Ă©cho aux propos ci-aprĂšs du philosophe du moyen Ăąge, SĂ©nĂšque rapportĂ©s par Denis Dambre dans un article publiĂ© le 14 janvier 2011 : « Pour trouver la tranquillitĂ© de l’Ăąme », le philosophe stoĂŻcien SĂ©nĂšque conseillait Ă l’un de ses disciples, Serenus, d’alterner la solitude et la vie de sociĂ©tĂ© et Ă©crit Ă cet effet : « Il faut d’ailleurs se replier beaucoup sur soi-mĂȘme ».
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MĂȘlons toutefois les deux choses : alternons la solitude et le monde. La solitude nous fera dĂ©sirer la sociĂ©tĂ©, la sociĂ©tĂ© nous ramĂšnera Ă nous-mĂȘmes ; elles se serviront d’antidote l’une Ă l’autre, la solitude guĂ©rissant notre horreur de la foule, et la foule notre dĂ©goĂ»t de la solitude.
L’intertextualitĂ© qui structure son premier roman, le mouvement continu qu’elle opĂšre dans sa belle Ă©criture entre les pensĂ©es philosophique et littĂ©raire, le mouvement constant que fait la brillantissime Diary Sow entre ces deux pĂŽles de savoir ne laisse aucun doute quant Ă ses frĂ©quentations dans ses lectures.
Sa disparition n’est-elle pas une oreille attentive prĂȘtĂ©e Ă SĂ©nĂšque et Ă ses recommandations aux sages ? Et, le mĂȘme SĂ©nĂšque, d’ajouter Ă l’endroit de son cher ami Lucilius : « Ton corps, objet rongĂ© par le temps, doit supporter sa solitude sans toi, ton esprit quant Ă lui doit entamer sa relation la plus intime avec toi, de sorte que tu ne seras jamais seul puisqu’il frĂ©quentera les sages ».
A son Ăąge, il ne fait aucun doute que Diary Sow avait dĂ©jĂ commencĂ© Ă frĂ©quenter les sages, dont il est question ici, depuis le lycĂ©e mĂȘme. Elle Ă©tait dans leur environnement, avant de les cĂŽtoyer au lycĂ©e Louis-le-Grand, avec des risques : la fatigue, la lassitude, voire le surmenage, mĂȘme si la jeune fille tente de nous rassurer, de ce point de vue.
Le risque Ă©tait pourtant bien rĂ©el. Et face Ă tout cela, prions ensemble, aprĂšs l’heureux retour de la jeune fille, pour que l’idĂ©e suggĂ©rant que la tragĂ©die soit le destin naturel des gĂ©nies soit dĂ©mentie. De grĂące, gardons-nous d’envoyer cette fille qui n’est ni « ange », ni « dĂ©mon » Ă l’Ă©chafaud ! Faisons l’effort de contredire Carl JungâŠ
Abdou Latif Coulibaly, ministre, Secrétaire Général du gouvernement.