Bendatoega, 24 juin 2025. Dans le petit village niché au cœur de la commune rurale de Pabré, les troupeaux ruminent paisiblement sous le soleil de plomb. Mais ce jour-là, les regards ne se tournent pas vers les pâturages. Ils convergent vers une scène inédite : celle d’un ministre d’État en bottes de caoutchouc, entouré de techniciens, de vétérinaires et d’éleveurs, pour un lancement aux allures de mobilisation nationale. Sous une tente dressée à la hâte, le Commandant Ismaël SOMBIE, ministre de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques, a donné le ton. En présence du ministre de la Santé, Dr Lucien Jean Claude KARGOUGOU, et du gouverneur du Centre, Abdoulaye BASSINGA, il a officiellement lancé deux campagnes majeures : l’insémination artificielle animale et la vaccination contre la fièvre aphteuse.

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Un double front contre les fragilités du cheptel
Chaque mot prononcé ce matin-là résonne comme un acte de résistance. Face à la sécheresse, aux épidémies animales et à la faible productivité, l’État veut réarmer les éleveurs. Et il le fait sur deux fronts complémentaires.
D’un côté, l’insémination artificielle animale promet une transformation lente mais durable. Améliorer la race, booster le rendement laitier, renforcer la robustesse des bêtes : c’est le pari de la génétique. De l’autre, la vaccination contre la fièvre aphteuse s’attaque à une maladie redoutée, capable de ruiner un élevage en quelques jours.
« Cette démarche vise à renforcer la résilience du secteur de l’élevage et à accroître sa contribution à l’économie nationale », affirme le ministre d’État, droit dans ses bottes. Le ton est solennel, mais l’ambiance est celle d’un chantier vivant.

Le terrain parle plus fort que les discours
À quelques mètres de là, les seringues piquent déjà les flancs des zébus. Le vaccin pénètre rapidement dans l’organisme de l’animal, pendant qu’un vétérinaire note chaque intervention dans un carnet. Dans une enclos voisin, des techniciens montrent à des éleveurs comment manipuler les doses d’insémination et repérer les signes de fertilité chez les vaches.
Abdoulaye, un éleveur de 39 ans venu du village voisin, observe attentivement. « Avant, on ne connaissait pas tout ça. Aujourd’hui, on nous explique, on nous montre. C’est utile », confie-t-il, sa casquette enfoncée sur le front. Pour lui, cette campagne est une première, et il espère pouvoir inséminer deux de ses génisses dès la fin du mois.

Une stratégie face à l’urgence alimentaire
La date ne doit rien au hasard. En cette période de soudure, où les ressources se font rares et les bêtes plus vulnérables, le gouvernement veut anticiper. Le lancement symbolique dans le Centre n’est que la première étape d’un déploiement national, qui concernera toutes les régions.
L’objectif est clair : produire plus, plus sainement, et de manière durable. Selon les techniciens, une vache issue d’insémination artificielle peut produire jusqu’à trois fois plus de lait qu’une vache locale classique. Cela change la donne, surtout pour les éleveurs qui misent sur la vente de lait pour survivre.
Mais la logistique reste un défi. Il faut des congélateurs, de l’azote liquide, des vétérinaires formés. C’est pourquoi l’État travaille avec des partenaires techniques pour étendre le réseau d’intervention.

La fièvre aphteuse, un fléau silencieux
Dans l’autre coin du site, les échanges se font plus tendus. Il est question de la fièvre aphteuse, maladie hautement contagieuse qui affecte les bovins, les ovins et les caprins. En 2023, plusieurs foyers ont été détectés dans les provinces de l’Est et du Centre-Nord, provoquant des pertes importantes. Le vétérinaire-chef de la campagne n’y va pas par quatre chemins :
« Sans vaccination, une seule bête infectée peut contaminer tout un troupeau en deux jours. C’est une bombe. »
Les doses sont prêtes, les équipes formées. Des brigades mobiles doivent parcourir des dizaines de villages pour vacciner le maximum d’animaux dans les prochaines semaines.
Un message politique assumé
La présence de deux ministres et d’un gouverneur n’est pas anodine. Elle traduit un message politique clair : l’élevage n’est plus un secteur marginal. Il est au cœur de la souveraineté alimentaire. Le Commandant SOMBIE ne s’en cache pas :
« Quand nous renforçons le cheptel, nous renforçons notre sécurité, notre économie et notre dignité. »
Il exhorte les éleveurs à jouer leur rôle, à faire vacciner leurs bêtes, à accepter les innovations.
« Ce n’est pas de la magie. C’est de la méthode. Et si nous l’appliquons ensemble, les résultats viendront. »

Des défis à ne pas ignorer
Tout n’est pas simple. Certains éleveurs restent sceptiques, notamment face à l’insémination artificielle animale. D’autres s’inquiètent du suivi après la première phase. Le manque de techniciens qualifiés et les distances à parcourir compliquent la tâche. Mais sur le terrain, l’espoir perce. À Bendatoega, on parle déjà d’organiser des séances de suivi, de former des relais communautaires, de créer un centre vétérinaire rural.
Vers une souveraineté par le bétail ?
En filigrane, cette campagne reflète un enjeu plus large : celui de la souveraineté alimentaire et économique du Burkina Faso. Dans un contexte de crises multiples — insécurité, inflation, déplacements —, le gouvernement fait le pari d’un élevage plus robuste.
Bendatoega n’est qu’un point de départ. Mais à travers cette initiative, c’est toute une vision du développement rural qui s’esquisse. Une vision fondée sur la science, l’organisation et la proximité avec les producteurs.

Un pas concret vers l’autonomie
À la fin de la cérémonie, alors que les invités s’apprêtent à regagner Ouagadougou, les éleveurs restent sur place. Certains discutent avec les vétérinaires, d’autres s’informent sur le calendrier des prochaines interventions.
Dans la poussière du terrain, une phrase revient souvent : « Si ça marche, on ne dépendra plus de personne. » Et c’est peut-être là, dans ce simple constat, que réside la plus grande victoire de cette journée.

