Quelques badauds s’arrêtent, attirés par le rythme entrainant de musiciens du Ballet national de la République centrafricaine (RCA)
Le son des percussions jaillit d’une ruelle en latérite asséchée par l’écrasant soleil de Bangui: quelques badauds s’arrêtent, attirés par le rythme entrainant de musiciens du Ballet national de la République centrafricaine (RCA).
Ici, pas d’ethnie ni de religion et la guerre qui ravage ce pays semble bien lointaine. Dans le centre-ville de Bangui, la passion commune des cultures centrafricaines réunit chaque lundi et jeudi après-midi une trentaine d’artistes professionnels, danseurs et musiciens.
« C’est pour tous les Centrafricains, même si c’est un chrétien, même si c’est un musulman », s’enthousiasme Kevin Bemon, 37 ans, directeur technique de la troupe, tout en enfilant son costume d’apparât. Même un étranger, « on peut le former et ça nous plaît », dit-il.
Le discours est surprenant tant les antagonismes sont forts entre les différentes communautés centrafricaines depuis le début de la crise en 2013.
A côté de lui, les musiciens-danseurs abandonnent leur tenue de ville pour revêtir des tenues traditionnelles faites de couronnes de plumes, de perles ou de coquillages, de peaux de bêtes, de jupes de poils.
Puis la troupe s’élance, suivant d’un pas chaloupé les variations polyphoniques des cornes de linga, une essence de bois présente en Centrafrique.
Les corps se couvrent de sueur, les visages rayonnent: oubliées, les galères du quotidien et les milices armées qui rôdent à quelques kilomètres de la capitale.
Comme les costumes, les danses et les musiques sont un mélange des cultures issues des seize préfectures centrafricaines, aujourd’hui déchirées par dix-huit groupes armés contrôlant les deux-tiers du pays.
Malgré l’unité affichée, le Ballet national ne compte pas de danseurs ou musiciens originaires de l’extrême-nord de la Centrafrique, zone à majorité musulmane.
C’est de cette région qu’était partie la rébellion de la Séléka, à l’origine du coup d’Etat de 2013 qui a plongé le pays dans un cycle de violences intercommunautaires dont il n’est toujours pas sorti.
Aujourd’hui, même si les membres de la troupe sont presque tous de Bangui, ils assurent que ni l’ethnie ni la religion ne comptent.
« Je n’ai pas de danseurs qui viennent de la Vakaga (région du nord frontalière du Tchad et du Soudan du sud), mais j’aimerais en avoir », reconnaît Dieudonné Koumba, 59 ans, directeur du ballet qui vante néanmoins la « représentativité solide » du pays dans la troupe.
Créé en 1969 par l’ex-président Jean-Bedel Bokassa, le ballet national a sillonné de nombreux pays. »C’est un symbole de l’unité du pays. Ici, il n’y a pas de différences, pas de divisions, c’est comme au football », affirme Maurice Souanenbgi, 77 ans, conseiller du ballet et balafoniste depuis 32 ans.Mémoire vivante du ballet, il se souvient avoir dansé en Côte d’Ivoire, au Maroc devant le roi Mohammed VI, en Libye devant l’ex-leader Mouammar Kadhafi, en Algérie, en France, et même en Chine.Malgré les difficultés, la troupe continue à voyager une ou deux fois par an à l’invitation de différents festivals.
Dernier voyage en date: Douala, au Cameroun, où la troupe s’est produite lors du festival Ti-î, en décembre. « L’objectif était de favoriser la cohésion sociale en faisant la fête avec les réfugiés centrafricains de Douala », explique Dieudonné Koumba.
En plus des performances musicales et chorégraphiques, il aimerait monter des représentations théatrales. Des ambitions pour l’instant contrariées par un manque de moyens: « nous avons une ligne budgétaire prévue par l’Etat, malheureusement nous n’avons pas encore été payé ».
Le directeur du ballet explique avoir récemment monté un dossier à l’attention du Ministre des Arts, du Tourisme, de la Culture et de la Francophonie, dans l’espoir que sa demande pourra aboutir et lui permettre de mener ses projets à bien.